Côte d'Ivoire / Affaire Tidiane Thiam : JEU D'ÉCHECS. C'est une remontée politique que presque personne n'a vu venir, selon Ferro Bailly.

SEKONGO Kassim Sam 17 Mai 2025 politique [585 articles] 46 Vue(s)
Le président du PDCI-RDA, Cheick Tidjane Thiam.
Les déboires politico-judiciaires du président du PDCI RDA, Tidiane Thiam continue de susciter la réaction de plusieurs leaders d'opinion. Au nombre de ceux ci, des journalistes . Ferro Bailly , journaliste éditorialiste dans un post publié sur sa page méta décrypte la situation politique. Igbeke.com vous donne la quintessence de son analyse.



Comme au 8è Congrès extraordinaire du PDCI-RDA, le 23 décembre 2023 (96,48% devant Jean-Marc Yacé, 3,22%), Cheick Tidjane Thiam a été, une nouvelle fois, plébiscité, avec un score soviétique (99,77%), au 9è Congrès extraordinaire du 14 mai 2025.

Et ce vendredi 16 mai, auréolé de cette victoire politique, le président du plus vieux parti politique ivoirien est à Bruxelles (Belgique) pour s'adresser au Parlement européen. En attendant le Congrès américain.

Au même moment, Valérie Yapo, son adversaire la plus résolue au sein du parti pour lui faire mordre la poussière, fait du surplace. Le procès qu'elle a intenté en illégitimité et illégalité de Thiam à la tête du PDCI-RDA, court de report en report. Et, par la voix de son conseil, elle réclame désormais un franc symbolique pour "laver son honneur" sali par sa suspension du Bureau politique. 

Mais tout cela apparaît comme en trompe-l'oeil. Si entre environ 17 mois, le parti a organisé deux Congrès extraordinaires pour voter pour le même candidat, c'est qu'il y a péril en la demeure. La preuve, quatre mois après sa nomination au poste de conseiller politique, Maurice Kakou Guikahué, l'ancien secrétaire exécutif en chef, a claqué la porte le lendemain de la réélection de Thiam.

Cette démission, pour dénoncer des dérives autoritaires et la gestion autocratique du parti, participe à entretenir une atmosphère de rififi au PDCI-RDA. Où les procès pour démettre Thiam succèdent aux assignations en référé pour suspendre des Congrès programmés pour l'adouber.  

Moins de deux ans après sa descente dans l'arène, Tidjane Thiam incarne parfaitement le Sébastien de la politique ivoirienne. Poussé dans ses derniers retranchements, il est attaqué de toutes parts et le glaive de la justice, qui l'a radié de la liste électorale en avril 2025 afin de l'exclure de l'élection présidentielle du 25 octobre 2025, reste son épée de Damoclès. 

Or, en l'absence d'alternative crédible capable de bousculer l'ordre établi, la direction et les militants du parti sont convaincus, dans leur immense majorité, d'avoir trouvé en Thiam, de surcroît le petit-neveu de Félix Houphouët-Boigny, l'oiseau rare.

Alors, face aux enjeux, le PDCI-RDA compte sur le leadership, les grandes capacités diplomatiques et relationnelles de son messie pour son retour au pouvoir, 26 ans après en avoir été exclu par le putsch militaire du 24 décembre 1999. 

Aussi, afin qu'il ne soit pas mis à mort politiquement, la direction du parti a-t-elle conduit un jeu d'échecs fulgurant, qui a surpris partenaires et adversaires. Dans un tour de passe-passe et un tour de force, elle a opéré une sorte de révolution de palais, digne des régimes staliniens: démission, dimanche 11 mai tard la nuit, de Thiam de la présidence du PDCI-RDA, nomination du doyen d'âge pour conduire le parti, qui le désigne aussitôt comme président délégué, convocation en urgence, le 12 mai, du Bureau politique qui prévoit un Congrès extraordinaire dans les 48 heures. 

La stratégie d'anticipation visait, après sa radiation de la liste électorale pour défaut de nationalité, à couper l'herbe sous les pieds de tous ceux qui prévoyaient, dans le procès de Valerie Yapo, d'un, la mise du PDCI-RDA sous administration provisoire et de deux, son dégommage de la tête du parti pour sa naturalisation française en février 1987. 

Pourtant, jusqu'à une date récente, la nationalité ivoirienne de Tidjane Thiam ne posait aucun problème. En juin 2019, il a été élu, en tant qu'Ivoirien, membre individuel du Comité international olympique (CIO) et, à ce titre, a participé aux JO de Paris en 2024.  

Ce seul Ivoirien membre du CIO, qui a participé au rayonnement de la Côte d'Ivoire sur la scène internationale, était détenteur d'un passeport ivoirien et inscrit régulièrement sur la liste électorale depuis 2022. Et l'État, garant du respect des lois, n'a trouvé aucun inconvénient à son élection à la tête du PDCI-RDA, le 23 décembre 2023.

Il a suffi que Thiam exprime ses ambitions présidentielles pour provoquer un séisme démocratique. Comme dans les films Western, il est devenu un "Wanted". Et avec des propos xénophobes, l'article 48 du Code de la nationalité est dépoussiéré et des chasseurs de primes sont lancés à sa poursuite pour l'abattre.

Sa binationalité ivoiro-française subie qu'il revendique est contestée et les documents pour l'attester sont qualifiés, non de faux, mais de "feuilles volantes". Or, en la matière, seul le procureur de la république, selon l'article 83 dudit Code, a la compétence exclusive pour trancher la question de nationalité. De plus, "In dubio pro reo", dit cet adage latin qui se traduit par "Dans le doute, le juge doit trancher en faveur de l'accusé." 

En France depuis le 17 mars, Tidjane Thiam est en exil volontaire, mais refuse de jeter l'éponge. Il pousse ses pions et compte ses soutiens. Et usant de son carnet d'adresses, il essaie de déployer son rouleau compresseur, en mettant le pays au pied du mur. Il a ainsi contraint le ministère de la Justice à prendre, en urgence, le contrepied du tribunal d'Abidjan, qui a refusé de lui délivrer, le 10 avril, un certificat de nationalité. 

"Depuis sa renonciation à la nationalité française, le 20 mars 2025, M. Thiam est devenu automatiquement Ivoirien," a confirmé, le 28 avril, le directeur des Affaires civiles et pénales du ministère. 

Ainsi, après avoir subi les assauts et les persécutions judiciaires, c'est lui qui place maintenant l'État sous haute surveillance et pression, en faisant le tour des bailleurs internationaux de fonds et donc des parrains, qui ont installé le pouvoir actuel. 

"Ils ont voulu l'effacer. Malheureusement, ils ont échoué et ils ont réveillé en Tidjane Thiam quelque chose qu'ils ne pourront plus contrôler: sa rage de vaincre," prévient Laurent Gbagbo.

 

F. M. Bally

A lire aussi

Veuillez laisser un commentaire