Bouaké : Dans l'univers difficile du combat pour l'inclusion et l'acceptation des LGBTQI

SAMIR Ariane Mar 17 Décembre 2024 grand-genre [28 articles] 95 Vue(s)
Des personnes appartenant à une communauté LGBTQ, posant avec le drapeau de la communauté internationale LGBTQ
À Bouaké comme partout ailleurs en Côte d’Ivoire, les populations clés notamment les personnes LGBTQI+, les travailleurs du sexe, et celles vivant avec le VIH continuent de faire face à de multiples défis qui se déclinent en stigmatisation sociale, discriminations économiques, marginalisation politique et judiciaire. Ces réalités, bien que préoccupantes, rencontrent des résistances dans une société où les tabous culturels et religieux influencent encore profondément les mentalités. En ce qui concerne les personnes LGBTQI, bien qu’il n’existe aucune loi les condamnant, leur vie quotidienne demeure inquiétante. Il y a à peine deux mois, de nombreuses personnes ont été mises à l'index lors de la récente crise « Zéro Woubis ». Loin de baisser les bras, des volontaires membres des organisations, telle que l'ONG Secours Social, œuvrent activement pour renverser la tendance en plaidant pour une inclusion durable et une meilleure acceptation des populations clés. Nous avons fait une incursion dans cet univers où les langues se délient avec peine.

« En Côte d’Ivoire il n’y a pas de loi qui pénalise l’homosexualité », a réitéré le lundi 16 décembre 2024 à ses bureaux de Bouaké, Lucien Gnizako, le président de l’ONG « Secours Social ». Ce discours est le même tenu par des structures telles que la Clinique Juridique et le centre « ENDA Santé » à Bouaké. « Les attitudes condamnables sont les attentats à la pudeur, le racolage sur la voie publique (la prostitution dans les rues) et autres », a signifié le président de l’ONG Secours Social, qui lutte en faveur des Droits des populations clés à travers plusieurs initiatives.

 

Les initiatives pour l’inclusion des personnes LGBTQ : le rôle de Secours Social

 

De nombreuses associations et Organisations Non Gouvernementales (ONG) en Côte d’Ivoire se battent pour que les Droits des personnes LGBTQI soient respectés, que ce soit à Abidjan, Grand-Bassam, Dabou, en passant par Yamoussoukro, Bouaké, Korhogo en allant jusqu’à San-Pedro. À Bouaké de façon spécifique, l’ONG Secours Social se présente comme un acteur clé de ce combat à travers des sensibilisations, des plaidoyers, des formations à l’endroit des journalistes, des forces de défense et de sécurité et des agents de santé. Selon les témoignages sur place, ce combat difficile a permis de réduire de façon significative l'opinion et la perception que le commun des mortels a des homosexuels dans la cité de la paix. « À Bouaké, je ne peux pas dire que les personnes LGBTQ vivent à 100 % libres de tous mouvements. Par contre j'estime que 60 % des personnes de cette population clé jouissent de leur liberté comme tout autre citoyen », affirme M. Gnizako. « C’est grâce à nos programmes de sensibilisations, de plaidoyers et de formations surtout en faveur des agents de police que de nombreuses populations clés connaissent un peu de quiétude », se réjoui-t-il.

 

Poursuivant, le premier responsable de « Secours Social » précise que 2010, son organisation a « formé un grand nombre de policiers, sur les Droits des personnes, de sorte à avoir des points focaux dans les six (06) commissariats de Bouaké ». « Souvent des personnes clés violentées, stigmatisées qui arrivent dans des commissariats de police se disent refoulées. Des policiers refusent de les recevoir et même de les écouter du fait de leur orientation sexuelle. Et très souvent si ces personnes ne sont pas assistées, ce sont-elles qui seront incriminées en lieu et place du coupable de violence », explique M. Gnizako. « Au regard d’une telle attitude venant de la part d’un agent de police censé protéger les personnes victimes de crimes et de violences, par manque de sensibilisation, ces hommes de loi se retrouvent eux-mêmes violeurs de Droit de l’Homme », fait-il observer.

 

« A l’ONG Secours Social, lorsque nous recevons des LGBTQ victimes de violences, nous leur demandons d’abord la nature de leur violence. Ensuite, si les victimes veulent porter plainte ou non, nous les accompagnons. Ce qui fait qu’aujourd’hui, quand un LGBT a un problème à Bouaké, il part lui-même porter plainte. Très souvent, justice lui est faite. Mais, il arrive parfois que certains ne veulent pas porter plainte de peur que leurs familles ou entourages connaissent leur orientation sexuelle », indique le président de l’ONG.

 

En vue de freiner toutes ces discriminations dont sont victimes les personnes LGBTQI, l’ONG Secours Social a initié un programme phare, intitulé « Vivre ensemble en harmonie ». Ce projet se concentre sur des campagnes de sensibilisation, pour déconstruire les préjugés auprès des leaders communautaires et religieux. Des ateliers d’autonomisation économique sont organisés, afin d’aider ces populations à sortir du cercle vicieux de la pauvreté. Des centres d’écoutes et de soutiens psychologiques sont également mis en place, où les bénéficiaires peuvent trouver une oreille attentive et un accompagnement. Avec tous ces programmes d’appui initiés par « Secours Social », ces personnes finissent par s’accepter elles-mêmes. Elles changent ainsi le regard des autres vis-vis d’elles.

Le témoignage de N.A.K, une jeune femme transgenre de 28 ans, atteste bien cela. « Avant, je me sentais seule. Aujourd’hui, grâce à Secours Social, j’ai trouvé un espace où je peux être moi-même », raconte-t-elle.

 

Accès aux soins en toute légalité et sans discrimination

 

En Côte d’Ivoire, les données montrent que ces populations représentent un groupe clé dans la lutte contre le VIH/SIDA, mais leur marginalisation freine souvent les efforts de prévention et de soins. Pour le président Gnizako, ce qui explique les stigmatisations et discriminations dans les centres de santé publics et parfois privés non spécialisés, c’est que les agents qui y travaillent ne sont pas formés à la question des LGBTQI. « Pour un patient gay qui arrive dans ce genre d’hôpitaux ; il peut expliquer à un médecin, ignorant le sujet, qu’il a un mal du côté anal. N'étant point préparé à cette situation, le médecin sera sur le choc. Il va lui rétorquer certainement sa religion ou sa tradition ne lui permet pas de traiter ce genre de cas », explique le président de l’ONG « Secours Social.

A la suite, M. Gnizako rapporte que ses services ont été déjà confrontés à ce genre de cas. « Avec ces comportements de rejet dans certains hôpitaux, le patient revient à la maison avec son mal. S’il s’avère qu’il est atteint du VIH, il y a de gros risques que la maladie se propage, parce-que parmi les LGBT, il, y’a des bisexuels. C’est pourquoi, la formation des agents de santé est extrêmement importante, pour faire évoluer les choses », lance-t-il.

 

Pour donc renforcer le système sanitaire sur la thématique, les centres de santé « friendly » (dédiés spécifiquement aux populations clés) sont les lieux conseillés aux populations clés. « Lorsque les personnes LGBTQ, ressentant un malaise ou sont victimes de violences viennent nous voir, nous les référons à des centres de santé « friendly », comme l’ONG Renaissance Santé Bouaké (RSB) et « ENDA Santé », en vue d’une meilleure prise en charge. Parce-que, quand ils arrivent dans ces centres, ils sont bien accueillis », dit M. Lucien Gnizako. Effectivement, les premiers responsables des services à « ENDA Santé Bouaké », un des centres dédiés, confirment ces informations. Selon ces responsables de « ENDA Santé », notamment des docteurs, des psychologues ainsi que des juristes, confirment que « l’accent est mis sur l’accueil, lorsqu’une personne LGBTQI arrive dans leur centre ». « Quel que soit le motif de sa consultation, qu’il s’agisse d’un test de dépistage du VIH ou d’une autre pathologie, l’accueil, est d’abord enthousiaste, en vue d’amener la personne à se sentir chez elle », a soutenu docteur Madodé Marie Laure de « ENDA Santé ». « Il est bien de noter que des personnes plus aisées, ayant plus de moyens financiers, vont dans des grands centres de santé pour leurs soins, loin des regards malveillants, au lieu d’aller dans des centres de santé publics », argumente M. Gnizako.

 

Un changement de mentalité en marche et les défis à relever

 

Les actions de Secours Social semblent porter leurs fruits, même si le chemin reste encore long. Si certains habitants de Bouaké, notamment les jeunes, montrent des signes d’ouverture, d’autres groupes restent fermés au dialogue. Les traditions, les croyances religieuses et la famille continuent de peser lourdement. « Pour ce qui concerne les lesbiennes, leur discrimination et violence se fait au niveau familial. Elles sont souvent obligées de se marier de force ou de faire des enfants, qu'on retrouve souvent obligés de se prendre en charge », affirme le responsable de l’ONG « Secours Social ». « Mais la stigmatisation des lesbiennes n’est pas aussi élevée que celle des gays, il y’a une certaine tolérance à leur égard. Par contre, les gays sont beaucoup discriminés, rejetés, violentés verbalement comme physiquement. Je peux estimer le taux de tolérance chez les lesbiennes entre 80 et 85% et entre 95 et 100 % de violence chez les gays », estime M. Lucien Gnizako.

 

Toutefois, les campagnes de sensibilisation menées par l’ONG « Secours Social » et ses partenaires portent ses fruits. Car, elles font changer la donne. Lors des séances d'échanges communautaires, des leaders religieux et coutumiers se sont engagés à promouvoir un discours inclusif. C'est une avancée majeure dans une société fortement hiérarchisée. Malgré ces avancées, plusieurs obstacles persistent. Les ressources financières limitées freinent les projets de grandes envergures. Par ailleurs, la question de la légalisation de certains droits, surtout pour les personnes LGBTQI+, reste un sujet politiquement sensible en Côte d’Ivoire.

 

Pour « Secours Social », il est clair que la lutte pour l’inclusion ne peut être gagnée qu’avec une volonté collective. C’est pourquoi l’ONG, ne cesse d’instaurer des projets de sensibilisations et de formations en partenariat avec la Ligue Ivoirienne des Droits de l’Homme (LIDHO) et le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) au profit d’institutions, de communautés et des médias, en vue de construire une société plus tolérante et respectueuse des différences.

 

Le combat pour l’acceptation des populations clés à Bouaké et en Côte d’Ivoire ne peut être mené par une seule entité. Cependant, des organisations comme « Secours Social » jouent un rôle crucial dans ce processus. En promouvant l’éducation, la sensibilisation et le dialogue, elle pose les bases d’une société plus inclusive. Les défis sont nombreux, mais les succès enregistrés montrent qu’un avenir où toutes les populations, sans distinction, qui vivront dans la dignité et le respect est possible. Le chemin vers l’acceptation commence avec des initiatives comme celles de « Secours Social », qui placent l’humanité au cœur de leur mission.

 

Pour y parvenir, les dirigeants de l’ONG « Secours Social », de « ENDA Santé » et de la Clinique Juridique sont tous unanimes que la personne LGBTQI doit quant lui aussi améliorer son comportement dans la société, pour faire respecter son choix de vie.


Pour finir, le président de l’ONG « Secours Social » s’est adressé aux personnes LGBTQI en ces termes : « C‘est ton orientation, c’est pour toi seul. Tu n’as pas besoin de t’exhiber ni d’avoir des comportements choquant devant tout le monde. Surtout que toi-même tu sais que ton orientation n’est pas acceptée par tous. Donc il faut savoir faire la part des choses. Parce qu’un homme quand tu te fais respecter, tu es respecté. Mais quand tu ne te fais pas respecter, tu vas subir beaucoup de choses ».

 

 

Ismaël COULIBALY

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