Afrique / Alliance des États du Sahel (AES): Un journaliste expert en sciences politiques charge : '' Les pères fondateurs de la CEDEAO sont en majorité civils et non des putschistes''

Landry KOUAME Mar 09 Juillet 2024 politique [531 articles] 875 Vue(s)
Le journaliste -politiste, Allah Kouamé sans pitié pour les pourfendeurs de la CEDEAO
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont désormais unis dans une confédération dénommée Alliance des États du Sahel (Confédération AES). Elle est le fait des militaires putschistes en place dans ces Etats. Pour défendre ces soldats d'une autre ère, d'un autre âge, certains intellectuels ne tardent pas à dire que la CEDEAO, de laquelle est issue l'AES a été créée par des militaires putschistes. Ce n'est que des contrevérités, de la propagande. Dans ces chroniques, Allah Kouamé, Journaliste, écrivain et politiste nous montre que si des militaires ont pris part à la création de la CEDEAO, les présidents civils élus étaient majoritaires.

Les réserves sont nombreuses. Nous allons en exposer quelques unes. 
Le contexte, la qualité des acteurs, leurs arguments, leurs méthodes, la pédagogie utilisée ainsi que l'historicité du fédéralisme dans la sous-région ne plaident pas en faveur des putschistes. Pour ce qui est du contexte, l'on remarque que le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont sortis de la CEDEAO suite à des coup d'États militaires. Sanctionnés par leurs paires de la sous-région conformément aux textes de l'institution sous-régionale qui n'admettent plus depuis 1999 que des putschistes siègent au sein de l'institution, les '' Etats voyous '' ont cru devoir créer une institution concurrente à la CEDEAO. Depuis septembre 2023, les militaires putschistes, le colonel Assimi Goita du Mali, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso et le Général de brigade Abdourahame Tiani du Niger ont décidé de créer l'Alliance des États du Sahel (AES). Ils ont tenté vainement de rallier à leur cause la Guinée Conakry de Mamadi Doumbouya qui vit aussi sous l'ère d'un putsch militaire. Autre contexte, c'est la prévalence du terrorisme. L'AES est créée par des militaires dans un contexte de lutte contre le terrorisme. Au lieu d'aller au front pour endiguer la menace terroriste, les militaires s'érigent en politiques ou en diplomates. Pour les dédouaner, certains défenseurs des hommes politiques encagoulés en treillis brandissent volontiers que les pères fondateurs de la CEDEAO étaient des militaires putschistes. Soit! Ce qui n'est d'ailleurs pas une position juste, car le contexte n'était point le même et les acteurs n'étaient tous pas putschistes et militaires. En effet en 1975, les coup d'États étaient quasiment tolérés dans l'espace ouest africain. Tu faisais un putsch aujourd'hui, le lendemain, tu sièges à la CEDEAO. C'est d'ailleurs cet espace qui a inauguré les coups d'États en Afrique. Eyadéma Gnassingbe a renversé Sylvanus Olympio au Togo en 1963. N'krumah sera défait au Ghana en 1966. Au Nigeria c'était la pagaille jusqu'à l'accession de Yakubu Gowon au pouvoir. Hamani Diori est renversé au Niger par Seyni Kountche. Modibo Keita au Mali et Maurice Yameogo au Burkina Faso ont été chassés du pouvoir respectivement par Moussa Traoré et Sangoulé Lamizana. Seuls Félix Houphouët-Boigny de la Côte d'Ivoire, Léopold Sedar Senghor du Sénégal, Sékou Touré de la Guinée Conakry, William Tolbert du Libéria résistent encore jusqu'en 1975 à l'appétit vorace du pouvoir des hommes en Kaki. Dire donc que les pères fondateurs de la CEDEAO étaient tous des militaires n'est pas tout à fait juste. C'est encore de la manipulation. Sur les 15 membres fondateurs, il y avait 7 militaires putschistes contre 8 civils. Le Cap vert ayant rejoint l'organisation avec le civil Aristides Pereira en 1976. Plusieurs chefs d'État civils ont fortement contribué à la création de la CEDEAO. Il s'agit de Dawda Jawara de la Gambie, Luis Cabral de la Guinée Bissau, Léopold Sedar du Sénégal, Félix Houphouët-Boigny de la Côte d'Ivoire, William Tolbert du Libéria, Sékou Touré de la Guinée Conakry, Siaka Stevens de Sierra Leone et de Moctar Ould Daddah de la Mauritanie. Il faut retenir que la Mauritanie quittera l'organisation en 2000 pour revenir comme observateur. A la création de l'institution, le Cap Vert était absent. C'est dire qu'on peut rejoindre une organisation après sa création. Comme quitter l'organisation et chercher à revenir. Le fait que trois États se retire de la CEDEAO n'est pas un fait nouveau. 
Par contre, l'AES , Alliance des Etats du Sahel puis confédération des Etats du Sahel est le fait de trois militaires uniquement. Les images nous le montrent bien. C'est d'ailleurs ce qui suscitent nos craintes. En effet la qualité des acteurs, des militaires, des hommes en armes ne donnent pas d'assurance à la pérennité de cette confédération. Les arguments liés à la souveraineté pour tenir les populations sous le joug militaires sont à prendre avec des pincettes. Comment des souverainistes peuvent accepter soudainement de céder leur souveraineté à l'AES en refusant de la céder à la CEDEAO, une organisation régionale vieille de 50 ans. C'est parce qu'ils ont la même origine et la même destinée. Venus à la tête de leurs pays respectifs par les armes, ils peuvent toujours partir de la même manière. C'est connu, Qui règne par l'épée périra par l'épée. Il n y a donc aucune garantie à voir continuer leur œuvre. Le premier venu pourra remettre en cause sa présence dans la confédération. La confédération AES a été mise sur les fonds baptismaux sans consulter le peuple des pays respectifs. Pour une question aussi importante qui engage l'avenir des peuples, il aurait fallu organiser un référendum. À tout le moins, il aurait fallu passer par le parlement ou toute autre assemblées élue. Mais avec les militaires aux affaires, il n y a point d'élus. C'est l'autoritarisme qui est de règle. De quelle légitimité bénéficient Assimi Goita et autres pour engager l'avenir de milliers de populations. Tout nouveau pouvoir avec un brin de liberté démocratique pourra remettre en cause ce statut de confédéré sous le prétexte de non consultation du peuple souverain de chacun des États. C'est un handicap a prendre en compte. L'on peut donc dénoncer la démarche pédagogique ou andragogique empruntée pour la création de l'AES. Elle est sui généris. D'autres États dans des contextes beaucoup plus apaisés avant ces militaires ont essayé de créer de grands ensembles confédéraux dans le même espace géographique et culturel sans y parvenir. Il y a eu la communauté Franco-africaine avec le Général De Gaule. Seuls sont restés les départements d'outre-mer (DOM). Il y a eu également la fédération du Soudan composée du Mali et du Sénégal. Cette dernière n'a pas résisté non plus. Les États du Conseil de l'Entente notamment le Togo, le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le Niger ont tenté en 1959 la création d'une Confédération qui est restée lettre morte. Il a fallu l'accession d'Alassane Ouattara au pouvoir en 2011 pour redonner un regain de vitalité à cette organisation qui a son siège à Abidjan. La Côte d'Ivoire et le Burkina Faso a travers le Traité d'amitié et de coopération (TAC) dans une expérience similaire tentent le confédéralisme. Mais le retour des militaires aux affaires aux pays des hommes intègres met à mal le projet. Le Sénégal et la Gambie avec la Sénégambie ont échoué. Il faut se demander comment ces 3 États vont réussir là où en 50 ans la CEDEAO forte de 15 Etats ( Au départ) peine à trouver ses marques avec des géants comme le Nigeria, la Côte d'Ivoire, le Ghana et de nombreuses ressources. Il faut toujours des puissants pour tirer les plus faibles dans un attelage. Mais à l'AES, loin de minimiser ces États, lequel des États peut-il être considéré comme le moteur, la locomotive. Des États aux conditions climatiques difficiles, des États sans façade maritime, sans routes d'interconnexion, sans relations extérieures sérieuses, livrés au terrorisme. Le défi sécuritaire est immense pour ces Etats sahéliens. Les militaires donnent plus dans le populisme que dans le pragmatisme. Ils sont plus dans les effets d'annonce que dans l'action concrète. Ils sont dans le vuvuzela. Ils doivent commencer par éradiquer le terrorisme, la raison principale de leur prise du pouvoir par la force. Au lieu de cela, retranchés dans les palais climatisés, ils s'adonnent au populisme, martyrisant leurs peuples. Le défi est immense. L'échec semble programmé d'avance pour l'AES. Mais attendons de voir. Il ne faut pas placer la charrue à l'avant des boeufs. Le meilleur allié de l'homme c'est le temps... Espérons que le temps leur donne raison.

Allah Kouamé, Écrivain, politiste

A lire aussi

Veuillez laisser un commentaire