Samedi politique : Quelles immunités pour les parlementaires ivoiriens ? Par Allah KOUAME, journaliste politique.

Landry KOUAME Sam 03 Septembre 2022 grand-genre [26 articles] 1308 Vue(s)
Le Journaliste Allah KOUAME aborde la question de l'immunité parlementaire
Nous vous avions parlé de la politique, des acteurs politiques mais aussi de la démocratie. Alors que nous nous m'apprêtions à vous entretenir sur les composantes du capital politique confiance du leader politique, nous avions reçu un coup de fil d'un confrère du premier contre-pouvoir et non du 4eme pouvoir, c'est-à-dire la presse qui a souhaité que nous abordions cette semaine la question de l'immunité parlementaire. A l'entendre, nos hommes et femmes politiques, députés ou sénateurs n'ont toujours pas une bonne compréhension des textes encadrant les privilèges et obligations de la vie parlementaire. Ce samedi 3 septembre 2022 est jour d'élections législatives et sénatoriales anticipées dans certaines localités notamment dans la circonscription électorale de Bodokro-Lolobo-Nguessankro et Marabadiassa dans la région de Gbêkê. Il y a 5 listes de candidats pour 1 siège de titulaire et un autre de suppléant à pourvoir. Le Pdci-Rda a choisi, Mangoua Saraka Koffi Jacques, président du conseil régional élu de Gbêkê. Celui-ci, c'est de notoriété publique, a des déboires actuellement avec les tribunaux ivoiriens. Condamné en première instance au tribunal de première instance de Bouaké pour détention illégale de munitions de guerre, après appel, l'affaire s'est retrouvée en cassation pour revenir au point de départ. Libérée sous caution, et sa candidature retenue, il affronte à ses élections Attingbre Kouamé Jules du Rhdp. Avec trois autres candidats indépendants, ils vont à l'assaut du siège laissé vacant par le défunt élu du Pdci-Rda, Semlin Kouadio Marcelin. Celui qui sera élu jouira à certaines conditions de l'immunité parlementaire. C'est pourquoi ce samedi politique sera donc consacré aux immunités parlementaires.

Ce décor planté commençons par la fondation, c'est-à-dire le système politique qui régit la Côte d'Ivoire : la démocratie. Un régime démocratique en application du principe de la séparation des pouvoirs pensé par John Locke et Montesquieu se compose pour sa bonne marche de 3 pouvoirs à savoir le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Si le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire se préoccupent respectivement de l'application de la loi d'une part et de la sanction de son application ou non application d'autre part, le pouvoir législatif s'occupe de l'édiction de la norme juridique. En clair le pouvoir législatif vote la loi, le pouvoir exécutif se charge de son application et le pouvoir judiciaire sanctionne son application ou non application.

Le pouvoir législatif qui nous intéresse particulièrement ici est exercé par le parlement que le Doyen Maurice Hauriou appelle volontiers le Pouvoir délibérant. Il peut être monocaméral ( une chambre)! ou bicaméral ( 2 chambres) comme c'est le cas actuellement en Côte d'Ivoire. Nous avons dans cet État une assemblée nationale et un sénat depuis une réforme constitutionnelle opérée par référendum en 2016. Les parlementaires sont les représentants de la nation. Les députés aussi bien que les sénateurs sont élus par le peuple soit directement ( députés) ou par ses représentants (sénat). Quelque soit leur mode de désignation, les parlementaires dans l'exercice de leur mandat bénéficient d'une protection. L'élu en sa qualité de représentant de la nation est protégé au nom du principe de la séparation des pouvoirs à un double titre : contre lui-même par le régime des incompatibilités et pour lui-même par celui des immunités parlementaires. 
L'incompatibilité oblige l'élu, député ou sénateur à faire un choix entre le mandat parlementaire et la fonction exercée jusqu'à son élection. Elle ne doit pas être confondue avec l'éligibilité qui empêche d'être candidat. En effet l'éligibilité est toute autre chose liée aux conditions à remplir pour être candidat à une élection. Ainsi, le mandat de député est incompatible avec la qualité de membre du conseil constitutionnel et des juridictions suprêmes ( séparation des pouvoirs oblige), de membre du conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec), de membre du gouvernement et de membre de la commission en charge des élections. 
C'est à ce titre que le ministre des transports Amadou Koné, député de Bouaké et membre du gouvernement ne siège pas au parlement. Son suppléant Malick Fadiga siège en ses lieu et place. 
L'exercice de fonction publique non élective est incompatible avec le mandat de député ou de sénateur comme les fonctions de membre et de président de conseil d'administration ainsi que de directeur général de société d'État et de société à participation financière publique ou de responsable d'établissement public national ( EPN). C'est pour cette raison qu'Assahoré Konan Jacques, élu député de Diabo-Languibonou et Directeur Général du trésor et de la comptabilité publique ne siège pas au parlement. Sa suppléante Dorothé Koffi est au parlement en son nom.
Autrement l'exercice d'une fonction publique élective est donc compatible avec le mandat de député ou de sénateur comme les fonctions de maire ou de président de conseil régional. C'est ainsi qu'il existe des député-maires ou des député-présidents de conseil régional à l'image de Alphonse Djédjé Mady. Celui-ci est député de Saioua et président du conseil régional du Haut Sassandra ( Daloa). C'est encore pour cette raison que  les députés Bema Fofana, Dakuyo Paul, Nguessan Affoué Jacqueline sont députés et adjoints au maire de Bouaké. 
A contrario, c'est encore pour cette raison que les gouverneurs de districts qui sont nommés par le Président de la République ne peuvent être députés ni sénateurs. Du moins, une fois nommés, ils ne peuvent siéger au parlement au cas où ils seraient députés.
De même, nul parlementaire ne peut être membre des deux chambres du parlement à la fois. Ainsi nul ne peut siéger à la fois au sénat et à l'Assemblée nationale comme député et sénateur.
Comme nous venons de le voir longuement le régime des incompatibilités semble pris contre le parlementaire. Qu'en est-il du régime des immunités ? 
Pour mieux cerner le régime juridique des immunités parlementaires (2), il nous faut le définir brièvement.
 
1) Définition des immunités parlementaires
 
Les immunités sont des prérogatives, des privilèges qui mettent les parlementaires à l'abri des poursuites judiciaires afin d'assurer librement l'exercice de leur mandat. Ce sont donc des mesures de protection de la fonction de parlementaire. 
Elles sont prévues par la Constitution ivoirienne en ses articles 91 et 92..Elles présentent deux aspects à savoir l'irresponsabilité et l'inviolabilité que nous allons étayer à travers le régime juridique des immunités parlementaires.
 
2) Régime juridique des immunités parlementaires
 
Il faut distinguer le régime de l'irresponsabilité parlementaire (a) de celui de l'inviolabilité (b). L'argent étant le nerf de la corruption, il est bon que le législateur ait une indemnité parlementaire (c).
 
a) l'irresponsabilité parlementaire
 
L'article 91 de la constitution ivoirienne de la 3eme République ( 8 novembre 2016) dispose << Aucun membre du parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou des votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions>>. Cette disposition traduit le principe de l'irresponsabilité du parlementaire à travers sa portée (a1) bien que celle-ci ait des limites ( a 2)
 
a1) portée de l'irresponsabilité parlementaire
 
La portée de l'irresponsabilité, il convient de le relever est que cette irresponsabilité est absolue et perpétuelle. Elle est absolue en ce sens qu'elle couvre les actes accomplis dans l'exercice du mandat législatif. 
En d'autres termes, les propos tenus par le parlementaire, les votes par lui émis ainsi que les rapports par lui faits, sont couverts du sceau de l'irresponsabilité. Et ce, tant du point de vue de la responsabilité civile, pénale que politique. Et elle est perpétuelle en ce qu'elle survit à la fin du mandat. Autrement, pour faire simple, l'on ne peut poursuivre en principe un député ou un sénateur pour ses opinions à l'occasion de son travail parlementaire car il n'est pas responsable personnellement des propos et votes qu'il émet.
 
Toutefois, il n y a pas de disposition totalement intangible.  
L'irresponsabilité parlementaire a des limites. 
 
a 2) Limites de l'irresponsabilité parlementaire
 
En effet, elle ne saurait concerner les actes accomplis par l'élu agissant en tant que personne privée ou en dehors de l'enceinte parlementaire, à l'occasion par exemple d'une réunion publique, d'une interview. Les comportements excessifs au sein du parlement peuvent donner lieu à des sanctions disciplinaires par exemple à une exclusion temporaire du parlement. Qu'en est-il de l'inviolabilité parlementaire ?
 
b) L'inviolabilité parlementaire
 
L'article 92 émet le principe de l'inviolabilité parlementaire ( b1) tout en prenant le soin de préciser que cette immunité est partielle ( b2).
 
b 1) Le principe de l'inviolabilité
 
- En principe le parlementaire est inviolable. C'est-à-dire qu'il ne peut être poursuivi ou arrêté pendant la durée des sessions ou même hors session qu'il s'agisse de crimes ou de délits.
 
- L'article 92 de la constitution stipule <<Aucun membre du parlement ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de la chambre dont il est membre, sauf en cas de flagrant délit. 
Aucun membre du parlement ne peut hors session, être arrêté qu'avec l'autorisation du bureau de la chambre dont il est membre, sauf les cas de flagrant délit, de poursuites autorisées et de condamnations définitives. 
La détention ou la poursuite d'un membre du parlement est suspendue si la chambre le requiert.>>
De cette disposition ressort également des exceptions au principe d'inviolabilité.
 
 b2) Les exceptions relatives au flagrant délit, poursuites autorisées et condamnations définitives.
 
Elles concernent le flagrant délit, les poursuites autorisées et les condamnations définitives que l'on soit en session ou hors session
 
- Vous constaterez à la relecture de l'article 92 précité qu'en matière de crime et délit, l'inviolabilité est partielle. Car aucun membre du parlement ne peut pendant la durée des sessions être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de la chambre dont il est membre, sauf le cas de flagrant délit. En d'autres termes pour poursuivre et arrêter un parlementaire pendant la durée de la session, en matière de crime et délit,  il faut l'autorisation de la chambre dont il est membre.
 Mais si le parlementaire est pris en  flagrant délit l'inviolabilité est inopérante. Il est poursuivi et arrêté sans autorisation ( hic et nunc) de la chambre du parlement dont il est membre. 
 
- Autre chose, en dehors des sessions, il faut l'autorisation du bureau de la chambre du parlement dont il est membre pour arrêter un parlementaire. L'autorisation du bureau de la chambre du parlement est une condition sine qua non pour arrêter un parlementaire en dehors des sessions. Maïs en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées et de condamnations définitives, qu'on soit hors session l'on n'a plus besoin de l'autorisation du bureau de la chambre du parlement dont il est membre pour arrêter le parlementaire. Il sera poursuivi ou arrêté immédiatement.
 
- Enfin, la détention ou la poursuite d'un membre du parlement est suspendue si la chambre dont il est membre le requiert. Le parlementaire a aussi droit à l'indemnité parlementaire.
 
c) L'indemnité parlementaire
 
Il est clair que l'honnêteté ne fait pas bon ménage avec la pauvreté. Le constituant ivoirien a cru bon de protéger le législateur contre le dénuement, la pauvreté et le prémunir contre la corruption. Ainsi il a institué des émoluments  consubstantiels dans le but de permettre aux députés et aux sénateurs d'exercer leur mandat dans la quiétude et la dignité. Le montant de cette indemnité est fixé par la loi. Il a droit à une prime d'installation, de mobilité ( véhicule), un passeport de service et autres avantages. Ce qui lui donne une relative immunité diplomatique quand il est à l'extérieur du pays. Elle permet au législateur d'être à l'abri du besoin et de la précarité. Protégé ainsi contre la pauvreté, il est immunisé contre la corruption. Il peut donc en toute liberté voter des lois en tenant compte de la science ( droit) et de sa conscience ( bon sens). 
 
Conclusion
 
Au total, il faut retenir que lorsqu'on parle des immunités parlementaires, il y a lieu de distinguer l'inviolabilité de l'irresponsabilité en n'omettant pas l'indemnité parlementaire. Des auteurs les confondent. Il faut les distinguer avec leur régime juridique. 
Retenons aussi que ces immunités ne sont pas absolues et perpétuelles. Elles sont partielles étant assorties d'un principe et des exceptions. Il est donc impérieux pour un politicien qui veut jouir d'un bon capital politique confiance de les intégrer. Ce dernier point sera l'objet de notre prochain samedi politique.
 
A samedi prochain in challah si Dieu le veut
 
Allah Kouamé, Journaliste politique, politiste et politologue. 
 
Références
Constitution ivoirienne du 8 novembre 2016
Lexique des termes juridiques, 21 ème édition
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