Bouaké : La difficile prise en charge des LGBTQI entre stigmatisation et résilience

SAMIR Ariane Ven 13 Décembre 2024 grand-genre [31 articles] 490 Vue(s)
Des populations clés recevant des vivres de la part de l'ONG Secours Sociales
À la faveur de la Journée internationale des Droits de l’Homme, commémorée chaque 10 Décembre depuis 1948, avec pour thème de l'édition 2024 : "Nos droits, notre avenir, maintenant", nous avons fait une incursion dans la vie quotidienne des personnes clés désignées sous le vocable LGBTQ+ vivant dans la région de Gbêkê, particulièrement à Bouaké. Il faut entendre par LGBTQI, les populations clés comprenant les Lesbiennes, Gays, Bisexuelles, Transgenres, Queer, Intersexes. Dans ce reportage réalisé du 10 au 13 Décembre 2024, de nombreux acteurs, des victimes, de simples citoyens, des spécialistes, des défenseurs des droits de l'homme ou non rencontrés dans les rues, comme au bureau, dans les quartiers Commerce, Nimbo, au Campus ont accepté de donner leurs impressions et perceptions sur la stigmatisation, la résilience et la difficile prise en charge des LGBTQI.

Des structures spécialisées en Droits, comme la « Clinique Juridique de Bouaké », en santé, « L’ONG ENDA SANTE » et sur le volet social, l’ONG « SECOURS SOCIAL » ont surtout été consultées pour une meilleure expertise sur ce sujet, caution à toutes stigmatisations sociales.

 

En Côte d’Ivoire, le Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH) a réussi à répertorier 28 associations qui luttent en faveur des Droits des LGBTQ, pour sa « Cartographie des LGBTQ », publiée en 2023. Sans toutefois réussir à les comptabiliser toutes, le CNDH a pu lister une seule association dans la ville de Bouaké qui est l’ONG « Secours Social ». Cette ONG lutte pour la promotion des droits de l'homme et le respect des droits des populations clés, LGBTQI et les minorités sexuelles. Malgré les efforts consentis par cette ONG, de nombreux défis restent à relever pour les populations clés, LGBTQI à Bouaké qui vivent entre harcèlement en milieu scolaire, universitaire et sur le lieu du travail, entre chantage, mariage forcé, résignation par la famille et des communautés religieuses, entre difficultés d’accès aux logements etc…

 

Lors de notre entretien avec la directrice de la clinique juridique de Bouaké, Mme Reine Kouamé, celle-ci est revenu sur des témoignages à couper le souffle. En effet, notre interlocutrice nous dit avoir reçu le cas d’un HSH (Homme ayant des rapports sexuels avec un Homme), c'est-à-dire un Gay, prostitué de son état, à qui des jeunes de son quartier ont tendu un appât ; dans l’objectif de l’agresser. « Objet de provocations de la part de certains jeunes de son quartier venus le draguer, pour une passe moyennant de l’argent, des jeunes ont accosté le gay prostitué. Le rendez-vous étant pris avec son client, le nommé H.J.B (HSH) arrive sur les lieux, pour pouvoir profiter de bons moments avec son amoureux de quelques heures. Grande fut la surprise du gay de se voir encerclé de plusieurs jeunes qui finissent par le tabasser et le dépouiller de son argent », explique Mme la directrice.

 

« Un autre cas qu’on a accueilli dans notre clinique juridique est celui de deux jeunes homosexuels victimes de railleries et de provocations de la part de leurs camarades dans le quartier, dont les parents ignorent leur orientation sexuelle. À la question de savoir :  Et s’il arrivait demain que les parents sachent que vous êtes homosexuels ? La réponse est instantanée : ils ne sauront pas toute de suite », raconte Mme Reine Kouamé.  « Voilà le genre de situations auxquelles sont constamment confrontés les homosexuels dans la ville de Bouaké », ajoute-t-elle. 

 

 Dans un rapport de l’Analyse Pays du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM ; Suisse), publié le 1er Décembre 2023, il est écrit que l’ONG Secours Social, soutient « qu’à Abidjan, les esprits sont plus ouverts, mais dans le Nord, ou dans certaines ethnies, si on ne se marie pas, la famille trouve un(e) conjoint(e) et organise le mariage. »

 

Perceptions des personnes LGBTQI par la société à Bouaké. Propos recueillis aux quartiers Nimbo, Commerce et à l’Université Alassane Ouattara,

 

« L'environnement social stigmatisant pour les populations lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et queers (LGBTQI) en général et les populations clés en particulier à Bouaké, et de l'attachement des populations de Bouaké (Baoulé et Malinké) à leurs cultures, traditions et croyances religieuses, la situation de précarité et d'isolement de cette communauté ne cesse de s'aggraver. […] La récente crise « zéro woubi en Côte d’Ivoire » en est un exemple palpable. Les croyances, les coutumes et les systèmes juridiques discriminatoires sont trois facteurs majeurs qui rendent l'environnement difficile pour les personnes LGBTQ et les populations clés dans la région de Gbêkê en général et à Bouaké en particulier », peut-on lire sur un document de l’ONG SECOURS SOCIAL, à l’occasion d’une formation au profit des journalistes, leaders religieux et communautaires de la région de Gbêkê.

L’objectif général de cette session de formation était de « contribuer au renforcement des connaissances des journalistes et briser les barrières culturelles et religieuses en impliquant les parties prenantes dans la sensibilisation et la déconstruction des idées reçues. »

 

Après avoir sillonné les quartiers Commerce, Nimbo où nous avons tendu notre micro à certaines personnes pour nous donner leurs avis sur les personnes LGBTQI et l’université de Bouaké (référence au rapport 2023 de SEM ; Suisse), il en ressort qu’en général, la population a une perception « extrêmement négative » de l’homosexualité. Cela se traduit par des termes injurieux et dévalorisants. A.B, jeune commerçant de 37 ans au quartier Commerce a, pour sa part, indiqué que « les personnes LGBT doivent être punies par Dieu, parce que les écritures saintes condamnent leurs pratiques ».  À Nimbo également, force est de constater que les propos de rejet des LGBTQI ressortent. Selon Mademoiselle, C.A.K, élève en classe de 1ère, « la loi doit les punir. » Elle va encore plus loin en affirmant que « Le gouvernement doit prendre des mesures nécessaires pour freiner ces pratiques indécentes. »

 

Toujours selon le rapport de l’Analyse Pays du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM ; Suisse), le poids de la religion, des traditions et des coutumes influence cette perception négative de l’homosexualité, qui est notamment vue comme une pratique qui défie les préceptes religieux (chrétiens, musulmans ou juifs). Ce rapport révèle les propos d’un prêtre et universitaire qui officie dans un diocèse ivoirien expliquant que : « dans les sociétés africaines, en général une sexualité qui n’est pas procréatrice est une infamie. Parce-que les Africains restent attachés à l’idée d’être médiateur de vie, acteur de la vie et de donner la vie pour que la communauté, dans laquelle on vit et on meurt, ne s’éteigne pas après nous et que, d’une certaine façon, nous y soyons toujours présents. Il y a là-dedans une sorte de « valeur sociale. »

Un autre universitaire, chercheur du Laboratoire de santé, sexualité, genre et développement (LA2SGED) de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké a déclaré que les LGBT sont vus comme « déviants » en Côte d’Ivoire, lu dans le rapport de SEM ; Suisse.

 

Prise en charge juridique et sécuritaires des LGBTQI en Côte d’Ivoire, cas de Bouaké 

 

« En Côte d’Ivoire, la loi ne punit pas les relations sexuelles entre personnes de même sexe adultes et consentantes », dixit la directrice de la clinique juridique de Bouaké, Mme Reine Kouamé. « Ce que la Constitution ivoirienne dit est que « Tous les Ivoiriens naissent et demeurent libres et égaux en droit ». [..] Donc on ne peut condamner, tabasser ou agresser une personne parce qu'elle est née homme et se sent femme ou vice-versa », précise Mme Reine Kouamé.

« Ce qui est plutôt puni par la loi c’est l’attentat à la pudeur en public, y compris des actes intimes entre personnes de sexe opposé ou de même sexe accomplis en public », a-t-elle renchéri.

 

Dans le rapport de l’Analyse Pays du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM ; Suisse), le CNDH précise que la Côte d’Ivoire a ratifié des traités internationaux prohibant la discrimination fondée sur le sexe et sur « toute autre situation », et note que la Côte d’Ivoire a ratifié plusieurs traités ou accords internationaux qui, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), « accordent une protection juridique aux citoyens des pays signataires, sans discrimination, y compris les personnes LGBTI. »

 

Dans ce rapport, le PNUD souligne que les « transsexuels au regard de la loi pénale se trouve encore dans une certaine insécurité juridique, eu égard à la répression de faits comme le racolage imputés aux travailleurs du sexe ».

 

Selon Secours Social, « [..] le simple fait qu’un auteur de violences envers des LGBT soit convoqué au commissariat, contribue à diminuer les violences. En effet, cela passe un message : « on ne peut plus tabasser des LGBT en toute impunité », propos tirés dudit rapport.

 

Selon Mme Reine Kouakou et sa collaboratrice, la situation sécuritaires des LGBT demeure toutefois précaire. « Parfois dans les commissariats, ils arrivent que les policiers aient des attitudes stigmatisantes (mépris, moqueries, etc…) lorsque que des hommes se déclarent victimes de violences sexuelles », déclare la responsable de la Clinique Juridique de Bouaké.  

 

Accès aux soins des personnes et prise en charge des personnes LGBT en Côte d’Ivoire et plus spécifiquement à Bouaké

 

L’ONG Secours Social mentionnait dans le document SEM ; Suisse que la prise en charge des HSH en matière de VIH/SIDA ne pose pas problème. A ENDA Santé à Bouaké, ce constat a été confirmé par les responsables du centre. Pour commencer, « nous avons trois (03) types de prise en charge qui sont la prise en charge sanitaire, psychologique et juridique », a indiqué M. Josué Biekoua, Chef Bureau ENDEA Santé Bouaké. 

 

« Dans notre centre, qu’il s’agisse d’une atteinte du VIH-SIDA ou toutes autres pathologies l’accueil est d’abord enthousiaste », affirme le médecin Madodé Marie-Laure de ENDA Santé. « Les personnes LGBTQ, sont comme toutes autres personnes avant d’être identifiées comme LGBTQ, donc leur prise en charge sanitaire se fait comme tout patient que nous recevons sans distinction. Ils bénéficient d’un accueil et d’un traitement convivial, afin qu’ils se sentent comme chez eux », déclare le docteur Madodé.

 

« J’ai reçu un cas dernièrement, atteint de VIH, qui n’adressait plus la parole aux membres de sa famille. Mais, lorsque sa famille l’a ramené au centre, aujourd’hui tout va bien, elle vit à l’aise avec tout le monde », raconte le docteur Madodé. « Il arrive parfois que ces personnes clés sont dépistées négatifs au VIH, nous leur conseillons la PrEP, qui est un traitement préventif et rester en bonne santé, ou encore le préservatif, pour qu’il garde le même comportement de demeurer sain. Ceux qui sont déclaré positif ont un suivi spécifiquement, afin qu’ils prennent leur médicament convenablement et qu’ils n’en manquent pas », explique-t-elle.

 

A ENDA Santé, les personnes clés bénéficient également d’une prise en charge psychologique et même juridique. « Lorsque nous les recevons dans nos locaux, ils jouissent d’un accueil, d’une mise en confiance, d’une consultation psychologique et une psychothérapie etc... […] tous cela se fait dans une stricte confidentialité », rajoute M. Kouakou Kouadio, psychologue à Enda Santé. « Nous leur tenons un discours de courtoisie de telle sorte que, les personnes LGBTQI, déclarées séropositifs, se sentent en confiance, pour qu’ils comprennent que ce n’est une fatalité. », dit le psychologue Kouakou.

 

« Lorsque des LGBTQI sont victimes de violences de n’importes quelles natures qu’elles soient et que ENDA santé est saisi pour traiter la question, nous répondons du mieux possible », Selon la Juriste, Conseillère de la structure sanitaire, Mme Aladé Agnès Ebrotié. « Au niveau d’ENDA Santé, quand une personne est violentée à cause de son orientation sexuelle et qu’elle arrive au centre, c’est d’abord l’écoute ensuite les conseils, même si elle ne veut pas porter plainte, c’est le rôle que nous jouons. Ils arrivent souvent que certaines victimes refusent de porter plainte, de peur d’être stigmatisées », a exprimé Mme Ebrotié.

 

Poursuivant, la conseillère juridique a affirmé avoir reçu « 23 personnes violentées physiquement, en raison de leur orientation sexuelle. Sur les 23, il y’a 05 qui ont porté plainte, dont le dossier suit son cours à la justice ».

 

Face à tous ce que vivent les populations clés au quotidien en Côte d’Ivoire et plus particulièrement à Bouaké, les responsables d’ENDA Santé et de la Clinique Juridique lancent un appel à la société d’être indulgent avec ces populations surtout les LGBTQI. « Car ces personnes n’ont pas choisi cette orientation sexuelle pour certains et même si pour d’autres cela reste un choix volontaire. C’est leur Droit. D’autant plus que la loi ne les condamne pas. Ces personnes sont libres de faire de leur corps ce qu’elles pensent bien pour elles », soutiennent-ils.

 

La stigmatisation des populations clés, en particulier les LGBTQI, reste un défi majeur à Bouaké. Toutefois, des initiatives locales et internationales émergent pour garantir à ces communautés des conditions de vie dignes. Ce reportage, en mettant en lumière les réalités sur le terrain, espère contribuer à un changement de mentalités et à une meilleure prise en charge des besoins de ces populations vulnérables.

 

 

Ismaël COULIBALY

A lire aussi

Veuillez laisser un commentaire